Pendant toute la durée de la Première Guerre mondiale, des centaines de milliers de lettres et cartes postales circulent quotidiennement du front à l'arrière, et inversement. De fait, le papier et l'encre constituent pour les millions de soldats et familles le seul lien fragile qui les unit encore en ces temps désastreux. Un phénomène dont s'empare rapidement la censure pour qui cette correspondance présente un danger certain.

Jaunies et pieusement conservées, ces témoignages intemporels sont aujourd'hui d'un grand intérêt humain, un rempart contre l'oubli.

Des centaines de milliers de lettres par jour durant la Grande Guerre

Si les chiffres varient et sont rarement fiables, un constat unanime ressort toutefois de ce phénomène: jamais dans l'histoire européenne, une guerre n'avait donné lieu à une telle prolifération de lettres. Ainsi, on estime à près de quatre millions le nombre de courriers écoulés chaque jour par le Bureau central militaire à Paris. Le service postal de l'armée britannique, quant à lui, traite 650 000 lettres par semaine. S'ajoutent à ces chiffres vertigineux les paquets qui transitent entre le front et l'arrière: 200 000 par jour en moyenne pour l'armée française, jusqu'à 600 000 à la veille du 31 décembre 1915.

La lettre en temps de guerre, un trésor venu d'ailleurs

"Maintenant qu'il avait sa lettre dans sa poche, il n'était plus pressé de la lire, il ne voulait pas dépenser toute sa joie d'un seul coup. Il la goûterait à petits mots, lentement, couché dans un trou, et il s'endormirait avec leur douceur dans l'esprit", Roland Dorgelès, Les Croix de bois (1919)

Véritables remèdes à l'absence, la rédaction comme l'arrivée du courrier sur le front et dans les tranchées représentent un moment d'émotion pour les soldats. C'est l'instant tant attendu où ils replongent dans le passé, celui d'avant la guerre, où ils revivent leur vie, leur famille, leur maison, quelques minutes, le temps d'oublier l'horreur de la guerre qui les entoure. Loin du front, à l'arrière, les nouvelles des soldats sont attendues avec anxiété et chaque lettre reçue constitue un soulagement pour la famille qui la reçoit: "Il est en vie! Il est en vie !" Mais pour combien de temps?

La correspondance en temps de guerre, surveillée et censurée

Le phénomène étant ce qu'il est, la censure s'empresse de s'emparer de cette correspondance, et dans toutes les armées en guerre, des systèmes visant à limiter la diffusion d'idées hostiles ou d'indiscrétions sont mis en place. En France, dès le 26 janvier 1915, le Grand quartier général institue des visites d'officiers dans les bureaux de la Trésorerie et des Postes pour vérifier que les hommes n'enfreignent pas les interdictions qui leur ont été faites. Celles-ci se résument à l'interdiction de:

  • préciser ses positions, au risque d'informer l'ennemi

  • transmettre des idées pacifiques

  • dévoiler les conditions de vie des poilus.

La censure garantit ainsi les valeurs prônées par les hautes sphères: nationalisme, patriotisme et héroïsme. Pour ce faire, à partir de 1916, chaque régiment est contrôlé au moins une fois par mois et ce à raison de 500 lettres minimum, soit près de 180 000 lettres ouvertes chaque semaine. La Grande-Bretagne pousse même le vice jusqu'à la diffusion de cartes pré-remplies sur lesquelles les soldats peuvent cocher les cases correspondant à un minimum d'informations élémentaires (la santé, la météo) et apposer leur signature.

Une bien triste signature que celle de ces hommes réduits au silence sur l'hôtel du patriotisme, envoyés sur le champ de bataille, et qui, pour certains, se sont faits justice dans l'écriture de carnets.

Sources :

Larousse de la Grande Guerre (2007) sous la direction de Cabanes et Duménil, Éditions Larousse

L'Encyclopédie de la Grande Guerre (2008), Demory & Co, Éditions E/P/A-Hachette Livres

 

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