Le dormeur du val



C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud

 

Poème d’un poilu de Verdun....

Dans un trou à Verdun.

Toute la terre tremble,

Et le canon qui gronde.

Oui, je crois, il me semble

Que c’est la fin du monde.

Dans nos trous, on blasphème,

On ne croit plus au bon dieu.

Même les morts aux faces blêmes

Tendent leurs poings vers les cieux.

C’est la moisson de notre jeunesse.

On tue des gosses de vingt ans

Qui meurent là, sans une caresse,

Fauchés comme des fleurs de printemps.

A quand la fin de ce cauchemar.

On n’en peut plus; on en a marre.

Mais c’est dans un trou à Verdun

Que j’ai connu mon petit copain.

Comme l’amitié réchauffe le cœur !

On se déride; on n’a plus peur.

Et dans la boue de Verdun

Nous nous sommes serrés la main.

Prends mon bidon, un coup de pinard,

Rien de meilleur contre le cafard.

Et pourquoi conserver ces biens,

Puisque nous tous mourrons demain.

Et puis ensuite nos retrouvailles

Devant ta maison près du café.

On discutait de nos batailles

Et des copains qu’on a laissés.

Toujours dans notre petite causette:

Souville, Douaumont et La Caillette.

Mais je voyais dans tes yeux bleus,

Comme un reflet des cieux.

Tu es parti de bon matin,

Sachant bien sûr, l’étape dure.

Et puis quand on pense aller loin,

Il faut ménager sa monture.

Mais partant pour l’éternité

Au pays de l’égalité,

Tu aurais dû comme à Verdun,

Mon petit copain, me serrer la main.

Mais dis-lui bien, à Dieu le Père,

Puisque Verdun fut un enfer,

Qu’il te réserve au paradis

Une place pour toi et tes amis,

Et tous les combattants de la terre.

Une prière: honnie la guerre,

Et tous, nous nous serrerons la main,

En bons copains, en vrai copains.

 

Henri Eugène LALLIER

1891-1976

Pour mon copain Marcel BOURGEOIS

Ancien du 147ème R.I.

 


Joseph Delteil (1926), extraits des Poilus, Grasset, réédition Cahiers rouges 1987

Les Tranchées. Là règne un homme qu'on appelle le Paysan. Les Tranchées, c'est affaire de remueurs de terre, c'est affaire de paysans. C'est l'installation de la guerre à la campagne, dans un décor de travaux et de saisons. Les Tranchées, c'est le retour à la terre.
En fait, il restait surtout des paysans dans les tranchées. A la mobilisation, tout le monde était parti gaiement. Se battre, le Français aime ça (pourvu qu'il y ait un brin de clairon à la cantonnade). L'offensive, la Marne, la course à la mer, un coup de gueule dans un vent d'héroïsme : ça va, ça va ! Avec un sou d'enthousiasme, on peut acheter cent mille hommes. Mais après les grandes batailles, dès qu'on s'arrêta, lorsque vint l'hiver avec ses pieds gelés, et la crise des munitions aidant, l'occasion, la chair tendre, les malins se débinèrent. Chacun se découvrit un poil dans les bronches, un quart de myopie, et d'ailleurs une vocation chaude, une âme de tourneur. Les avocats plaidèrent beaucoup pour l'artillerie lourde. Les professions libérales mirent la main à la pâte. Ce fut un printemps d'usines.

Le paysan, lui, resta dans les Tranchées.

Il se tient là, dans son trou, tapi comme ces blaireaux, ces fouines qu'il connaît bien. Creuser le sol, ça le connaît, n'est-ce pas ! Il creuse, de Dunkerque à Belfort, des lignes profondes. De l'époque des semailles jusqu'au mois des moissons, il creuse. A l'heure où le raisin mûrit, à l'heure où le colza lève, il creuse. Il creuse, dans la longue terre maternelle, des abris comme des épouses, des lits comme des tombes. Chaque tranchée est un sillon, et chaque sape un silo. Ces boyaux, ils sentent la bonne cave. Mille souvenirs champêtres fleurissent dans les entonnoirs. La terre est une grande garenne. Les copains soufflent comme des vaches à l'étable. Le flingot a un manche de fourche. Et toutes ces armes industrielles, ces engins nouveaux comme des étoiles, ces crapouillots à quatre pattes, ces lance-mines et ces tas d'obus fauves, tout a un grand air animal, un air d'animaux à cornes. La lune est toujours la lune des prairies. Il y a un merle sur une gueule de canon. De la pluie, de la pluie qui fait germer les avoines. Et le vent des tuiles passe sur les hommes de chair.

 

Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle

Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre

Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre

Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.

Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles

Couchés dessus le sol à la face de Dieu

Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu

Parmi tout l'appareil des grandes funérailles

Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles

Car elles sont le corps de la cité de Dieu

Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leurs feu

Et les pauvres honneurs des maisons paternelles

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés

Dans la première argile et la première terre

Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre

Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés

Charles PEGUY

 

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